Solitaire … Solidaire ?

Découvrir dans notre solitude habitée, la source d’un engagement solidaire …

Devenir artisan d’humanité dans le monde.

Vous l’avez lu dans ma présentation sur le site, je suis membre d’un Institut Séculier. Dans un tel Institut, on s’engage entre autre à une vie dans le célibat, enfouie dans le monde. Une des caractéristiques d’un IS est de ne pas vivre en communauté. Je vis donc seule et mène une vie de laïque consacrée, engagée dans l’Église.

Avant de trouver cet Institut qui me permet de répondre à un appel et de vivre ma vocation, j’ai habité pendant 15 ans dans une communauté avec des jeunes et des jésuites. Je vais donc partir de ma propre expérience et essayer d’éclairer par là ce que c’est une solitude habitée et comment elle peut aboutir à un engagement solidaire qui fait de nous des hommes et des femmes capables de travailler dans le monde pour plus d’humanité.

La solitude n’est pas toujours évidente à vivre, surtout si elle n’est pas choisie. Mais il faut encore savoir ce que je mets derrière ce mot. Solitude ne veut pas dire isolement. Pour ma part je ne sais pas très bien à quel moment j’étais plus seule – en habitant en communauté ou en habitant seule dans mon appartement. En communauté, j’étais entourée de pas mal de personnes, je me trouvais bien et j’étais contente de ce que je faisais. Mais j’étais seule avec la question : comment et où devais je vivre ma vocation ? Aujourd’hui j’habite seule, mais en pleine réalisation de cette vocation, qui est également ma mission.

a) Qu’est-ce donc une solitude habitée et que puis-je faire pour que ma solitude devienne habitée ; habitée par qui et par quoi ?

Dans un premier temps je suis invitée à m’ouvrir à mes frères et sœurs en humanité, c’est-à-dire ouvrir ma porte. La porte de ma maison aussi bien que celle de mon être, de qui je suis pour rencontrer d’autres personnes, nouer des relations, des amitiés et permettre des partages. Cela peut être le partage d’une tasse de thé aussi bien que le partage de ce qui me travaille, me pose question, me réjouit, me fait souffrir. C’est très important !

Ce n’est certainement pas évident de m’ouvrir à d’autres, de rendre mon écoute plus fine, d’accepter et d’accueillir humblement ce qu’un autre m’apporte. Cette ouverture là, cette attitude, je dois la désirer, puis je dois la cultiver. Je je dois en prendre soin.

M’ouvrir à l’autre me demande aussi de m’oublier un peu, de lui laisser la place, de lui donner de l’importance.

Si j’invite quelqu’un chez moi, je me dévoile toujours un peu, car ma manière d’arranger mon intérieur dit déjà des choses sur moi. La relation vraie et l’amitié demandent la confiance. Voilà encore quelque chose à développer, à cultiver, même si on a été blessé en faisant confiance !

L’ouverture au Seigneur

J’ai évoqué l’ouverture à mes pairs mais il y a aussi et surtout l’ouverture au Seigneur. Pour ma part l’un ne va pas sans l’autre. M’ouvrir à ce Dieu qui n’a qu’un désir : me rencontrer ! « Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je prendrai le repas (la cène) avec lui et lui avec moi. » (Ap 3, 20) Dieu n’a donc qu’un seul désir : venir habiter ma solitude pour m’ouvrir à une vie avec Lui et ainsi m’ouvrir à la vie tout court, à la vie avec d’autres. En vivant tout simplement la vie comme elle m’est donnée, sans me crisper, sans me torturer à chercher ce que je dois faire, sans me poser mille et une questions qui me font tourner en rond, je trouve un jour, déposé devant moi, ce cadeau qui est la compréhension du sens de ma vie, qui est l’invitation à un engagement dans ma vie. C’est seulement en lâchant mes rêves que je puis accueillir ce qui est donné ! À moi d’être attentif et lucide pour reconnaître et accueillir ce cadeau !

La prière

Comment puis-je cultiver et prendre soin de ma relation au Seigneur ? En premier lieu, je dois approfondir cette relation dans la prière, ce temps donné gratuitement au Seigneur, qui me permet de Le connaître plus profondément et me connaître mieux moi-même par la même occasion. La prière avec la Bible m’apprend à contempler ce Jésus dans son humanité et à découvrir le Père qui aime sans mesure.

Vous allez me dire que nos vies sont tellement agitées, qu’avec des enfants en bas âge, des heures supplémentaires à prester au travail, des relations humaines à entretenir, il ne reste plus de temps pour la prière.

Je vous accorde que ce n’est pas facile. Tout en insistant sur le fait que ces moments de prière me font plonger en Dieu, j’attire quand même votre attention sur d’autres formes de prières qui permettent de nous connecter souvent et tout simplement au Seigneur.

La tradition spirituelle chrétienne nous apprend que nos vies, nos joies, nos souffrances, peuvent être rattachées par la foi et l’intention au don du Christ qui nous donne la vie. Nos actions, marquées par des joies ou des peines, peuvent, aussi bien que les mots, constituer notre prière. Car il n’est pas toujours nécessaire de « dire » une prière, on peut la « vivre » ! C’est la prière perpétuelle. J’exprime par ma prière du matin mon désir, mon intention, que toute ma journée, tous mes travaux, mes pensées soient offerts au Seigneur. J’oriente ainsi le sens de ma vie et de mes actions vers le service de Dieu, vers Son amour.

La relecture

La relecture de ma journée est un autre appui qui peut m’aider à devenir plus lucide en ce qui concerne les pas de Dieu dans ma vie. « Relecture » est peut-être un mot compliqué, mais c’est tout simple.

Je comprends par là un court moment de prière le soir qui est rythmé par quatre mots : Me voici ; merci ; pardon ; demain.

  • Me voici Seigneur, je me rends présente à ta Présence,. Je viens avec tout ce que je suis, fatiguée ou contente, découragée ou émerveillée. Je te demande de m’éclairer sur ce que j’ai vécu aujourd’hui.
  • Merci – Je rends grâce pour tout ce que j’ai reçu en ce jour à travers ma vie, à travers les plus petites choses – des événements, des rencontres, des activités, des gestes d’amitiés, telle parole que j’ai dite ou entendue, la force de travailler que j’ai reçue, … Je rends grâce pour tout le travail de Dieu, en moi et autour de moi, dont j’ai été témoin aujourd’hui.
  • Pardon – Je vois aussi les « ombres » de cette journée, mes faiblesses, les refus d’aimer, le non-accueil du cadeau de Dieu, de la grâce, et je demande pardon. Je m’abandonne avec confiance à la miséricorde de Dieu.
  • Demain – Je confie tout cela à Dieu, je le lui remets. Dans le silence j’écoute ce qu’il veut me dire. Je lui demande la grâce et la force pour le lendemain. Je m’apprête à recevoir de lui tout ceux que je vais rencontrer demain et le travail qui m’attend.

L’accompagnement

Une dernière proposition qui peut m’aider à avancer avec le Seigneur qui veut venir m’habiter est de rencontrer quelqu’un qui sait écouter, à qui j’ose faire confiance, avec qui je peux parler à cœur ouvert. Un tel échange a deux objectifs : 1) chercher Dieu dans ma vie, 2) chercher et trouver ce que Lui désire pour ma vie. La personne qui m’écoute ne marche pas devant moi, elle n’est pas celle qui sait tout ! Elle marche à mes côtés et me permet de prendre conscience de ce que je suis en train de vivre et d’y mettre des mots. Cela m’aide à prendre des décisions, à poser des jalons. Ce n’est rien de bien compliqué, ce sont deux amis qui marchent ensemble. On appelle cela aussi un accompagnement spirituel et personnel.

b) la solitude habitée, source d’un engagement solidaire

L’ouverture aux autres et à Dieu rend ma solitude habitée. Doucement j’apprends à accepter et à vivre plus paisiblement la vie qui est la mienne. Je passe du « faire » à l’ « être ». Être c’est être unifié, être en accord avec soi-même, une attitude de laquelle peut jaillir mon engagement. J’apprends à être présente au présent, être présente à mon aujourd’hui, à ne plus me perdre dans des rêveries et des désirs irréels.

Être présente au présent veut dire pouvoir poser calmement mon regard sur les événements que je vis dans ma famille, près de mes amis, dans mon travail, dans mon entourage. J’apprends à avoir un regard sur le monde et être capable de reconnaître les signes qui me parlent, de reconnaître la présence de Dieu dans ce monde agité. Cette présence de Dieu ne désire certainement pas tout ce qui est difficile à vivre, tout ce qui est violence et méchanceté ; mais c’est la présence de Dieu qui est à côté de l’homme pour l’aider à vivre, pour consoler et apaiser, pour l’accueillir.

À partir du moment où je suis capable de voir la trace de Dieu dans mon quotidien, je deviens disponible pour le chemin de Dieu avec moi. Je suis capable d’écouter sa voix au plus profond de moi-même et j’entends l’invitation à me tourner vers mes frères et sœurs. J’entends l’invitation à devenir solidaire des hommes, de la création même. C’est un chemin qui s’ouvre devant moi et ce chemin est quelqu’un, c’est le Christ lui-même. Au fur et à mesure, au fil de mes pas, je constate que j’aime ce que j’ai, que j’aime ma vie telle qu’elle est, telle que je l’ai reçue, ce qu’elle est devenue. Je peux vire d’une paix intérieure et un jour je me réveille en me sentant responsable ; responsable de mon chemin de vie, responsable de la communauté humaine, responsable de l’Église. Mais être responsable veut dire être capable de répondre. Je me mets donc en route pour accueillir la réalité de ma vie. Je me mets en route pour écouter à quoi la vie m’appelle. Je me mets en route vers la personne avec laquelle je vais partager, qui va m’aider à prendre des décisions qui me conduiront à un engagement qui me rendra solidaire aux hommes.

Il est question ici de devenir de plus en plus consciente de ce qui m’habite, de le sentir, le nommer et l’exprimer. Que veulent dire ces mouvements intérieurs pour ma vie qui veut s’orienter vers l’amour de Dieu, vers son désir ? Est-ce qu’ils m’aident à naître à la vraie vie ? Augmentent ils l’espérance, la foi et la charité en moi ? Est-ce qu’ils me pacifient ?

Il faut comprendre ce que veulent dire ces mouvements intérieurs, ce que veut dire ce qui bouge en moi, pour savoir ce que l’on peut en faire. Est-ce l’Esprit de Dieu qui me rejoint ou est-ce l’esprit contraire qui s’infiltre. Il s’agit de reconnaître et de vérifier dans quelle mesure ces mouvements me conduisent sur le chemin de Dieu, dans quelle mesure ils m’aident à prendre un engagement juste et réel qui correspond à ce que je suis, aux dons que j’ai reçus et aux possibilités pratiques que j’ai actuellement.

c) devenir artisan d’humanité dans le monde

Un engagement est toujours une réponse à un appel. Dieu appelle et propose, demande. Il désire nous envoyer dans le monde pour le rendre plus humain. Par le baptême il nous a donné sa Vie et il nous invite à transmettre sa Vie à notre tour, là où nous sommes, à travers la vie qui est la nôtre. C’est lui qui nous rend fécond. Nous pouvons donner la vie de manières bien différentes ! Si je soulage quelqu’un qui souffre, si j’aide quelqu’un à retrouver sens et goût à sa vie, si je l’aide à se mettre debout, je donne la vie au même titre qu’une maman met au monde son enfant !

Parfois nous nous demandons comment, concrètement, nous sommes impliqués dans le monde, dans nos propres vies et dans ce qui se passe autour de nous. Nous ne pouvons pas être des hommes et des femmes de la neutralité, des êtres qui regardent de loin. Nous sommes invités à ouvrir l’espace de nos tentes, à accueillir, à prendre position, à nous engager dans une dimension de solidarité et de réciprocité avec tous ceux que nous côtoyons, qu’ils partagent notre foi ou non.

Bien sûr, nous désirons tous une reconnaissance pour ce que nous faisons, pour ce que nous sommes. Une reconnaissance dans la société, dans l’Église, et c’est bien normal et compréhensible.

Dans ma propre vie, j’ai expérimenté que c’est au moment où j’ai laissé tomber la recherche de reconnaissance, la recherche de me réaliser à travers mes désirs, que la plénitude était donnée.

L’important n’est pas une comptabilité de mon efficacité, mais la générosité avec laquelle je peux m’offrir moi-même au Christ, la force avec laquelle je veux être pétrie dans la pâte humaine pour y porter la présence accueillante du Christ. C’est quelque chose qui se fait à mon insu à mesure que je lâche prise pour me laisser habiter. C’est alors que les autres peuvent toucher et se laisser toucher par le Christ. C’est bien au-delà de la parole, ça se trouve dans ma manière d’être !

Jésus offre sa vie au Père jusque dans sa mort. En frères et sœurs de Jésus, nous sommes appelés à faire de même. Cela a souvent l’air bien compliqué. Pourtant, c’est tout simple : vivre l’union étroite avec les hommes et les femmes de notre temps, les « toucher » à travers les petits événements de tous les jours. Ainsi, en union avec le Christ, nous pouvons déposer dans le sein du Père cette « terre » dans laquelle nous avons nos racines. C’est en Jésus avec Lui et par Lui que nous remontons notre terre dans le sein de Dieu.

Irmgard Böhm – février 2011

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